carte postale cirque Pauwels, montrant Marquis Pauwels et Alexandra, 1990
Objet musée
Numéro d'inventaire : 18777
Titre : carte postale cirque Pauwels, montrant Marquis Pauwels et Alexandra, 1990
Dénomination contrôlée : Carte postale
Désignation de l'objet : carte postale avec impression photo couleur
Matériaux : carton, encre
Techniques : impression
Dimensions : 10,5 cm x 15 cm
Mode d'acquisition : achat
Source de l'acquisition :
Personnes/Organisations liées :
Datation (période) :
Date de production : 1990
Provenance géographique : Europe, France, Morbihan, Quistinic, Le Crann
Provenance géographique :
Informations historiques : article "Les cahiers de la Mémoire Contenporaine" 6-2005, Agnès Bensimon- Les Pauwels, histoire d'une famille juive du cirque.
Le chapiteau brille de tous ses feux, une musique de fête accueille les invités, la famille et les amis, les copains de classe, venus nombreux en l’honneur de Samuel Pauwels qui, le matin même, en ce jeudi 19 mai 2005 (10 Iyar 5765), à la synagogue sépharade de la rue du Pavillon à Bruxelles, a revêtu pour la première fois les tefilin.
2De mémoire de cirque, l’événement est si exceptionnel que nul ne saurait dire à quand remonte la dernière bar-mitsva que l’on a célébrée sous un chapiteau.
3Samuel, fils de Marc dit Marquis Pauwels, fils d’Alexandra Busnac et d’Alfred Abraham Pauwels, dit Pépète, fils de Charles Pauwels et de Jeannette Cohen, est l’héritier en droite ligne de ces nombreuses familles juives du cirque qui sillonnent les routes d’Europe depuis plus de trois siècles et dont l’histoire est méconnue.
1 Entretien avec Marquis Pauwels, Bruxelles, juin 2005.
4Le cirque Pauwels s’est établi sur la plaine du Bourdon à Uccle voici quelques années, à deux pas de l’école Ganenou, afin de permettre à l’enfant de suivre une scolarité régulière et de recevoir une éducation juive. C’est à la fois un retour aux origines familiales, les Pauwels ayant eu au début du XXe siècle leur propre chapiteau – qui tournait principalement en Belgique et au grand-duché de Luxembourg –, et à une identité juive affirmée. « Dans notre famille, nous savions que nous étions juifs, sans être pratiquants. Nous avons toujours fêté Kippour, où que nous soyons. Mais, envers les autres, nous étions discrets. Tous les contrats d’engagement pour des tournées comportaient une question sur la religion des artistes. Pour être tranquille, mon père indiquait que nous étions catholiques, mais il nous a toujours inculqué l’amour d’Israël », explique Marquis Pauwels1. « Lorsque nous étions à Paris, nous avons organisé de nombreux événements pour les œuvres de la communauté. Je continue à le faire du mieux que je peux, ici à Bruxelles. » En effet, on se souvient encore du gala de soutien aux enfants israéliens victimes du terrorisme qu’il a offert en novembre 2004 et qui contribua à permettre à une centaine de garçons et de filles de célébrer leur majorité religieuse, à la veille de Pessa’h, au Mur des Lamentations, à Jérusalem.
2 Voir « Pépète Pauwels », dans le numéro spécial de La voix du Cirque (revue de la Phonothèque du Ci (...)
5Dans le carré juif du cimetière de Thiais, près de Paris, repose « Pépète », le père de Marquis, disparu le 10 mai 19892. C’était un auguste de talent, qui avait commencé par être acrobate, comme son père Charles et son grand-père Petit Léon, avant de trouver sa voie au Cirque d’Hiver avec les célèbres Dario-Bario. Le jour de l’enterrement d’Alfred Abraham Pauwels, des centaines de personnes de la grande famille du cirque se pressaient autour du rabbin Charles Licher au moment du kaddish. Un peu plus loin se dresse la tombe de Charles Pauwels, père d’Alfred, né à Gand en 1886, et de Jeannette Cohen, son épouse, acrobate comme lui, née à Enschede aux Pays-Bas, également en 1886. On peut voir aussi, à proximité, l’emplacement de cette famille Cohen, la branche hollandaise qui possédait déjà autour de 1870 son propre cirque à Amsterdam. Le frère de Jeannette, Marcus Cohen, tour à tour acrobate, écuyer, régisseur, connu sous le nom de « Monsieur Marquis », a profondément marqué la famille de son empreinte et ce surnom a été transmis à plusieurs descendants.
3 Ibid., p. 6.
4 Ibid., p. 3.
6Les Cohen ont travaillé étroitement avec le cirque belge Semay pendant la Première Guerre mondiale et l’un des fils de Pierre Semay, directeur du cirque, épousa une fille Cohen3. On les trouve aussi vers 1920 en tournée avec le cirque-ménagerie des frères Amar, des « Français d’Algérie » de confession musulmane4. Quarante ans plus tard, au début des années 60, les Pauwels sillonneront l’Algérie durant deux ans avec les descendants des frères Amar.
7C’est encore par les Cohen que la famille va se lier avec celle des Sosman, juifs eux aussi, qui fondent en 1860 la première troupe de cirque en Belgique. Le plus célèbre d’entre eux, Gustave-Joseph Sosman, né en 1909, avait forgé sa réputation de clown sous le nom de Pipo. Son fils Philippe-Pipo junior, né à Paris en 1949, poursuit aujourd’hui une brillante carrière internationale avec les plus grands chapiteaux du monde. Son frère Eddy Sosman est décédé brutalement en tournée en Italie en 2002.
5 Voir le site généalogique des Busnach, établi par Wouters Busnach : http://www.busnach.nl
8Quand Alfred Pauwels épouse en 1938, à Paris, Alexandra Busnac, il s’allie avec une autre ancienne famille “circassienne” (du monde du cirque) établie en Hollande. La présence des Busnac (ou Busnach) est attestée à Amsterdam en 1700 et l’on a pu reconstituer la descendance de Josua et de Rachel Busnac sur dix générations5. À l’origine, la famille aurait fui le Portugal pour trouver refuge à Amsterdam, où elle pouvait garder son identité juive, tandis qu’une autre branche faisait souche en Algérie.
6 Entretien avec Marquis Pauwels, Bruxelles, juin 2005.
9Née en 1916 à Odessa, où les Busnac étaient en tournée, Alexandra et ses parents parvinrent à fuir la révolution par le dernier train quittant la ville6. Les grands-parents et les parents Busnac avaient exercé mille métiers, principalement celui de chineurs, de marchands de tapis, de bijoutiers. Ils étaient arrivés au cirque en donnant un spectacle de musique, d’équilibre et de magie sur les fêtes foraines. C’était, comme il se doit, une entreprise familiale et chacun y participait, quel que soit son âge.
10D’une façon générale, jusqu’à la Première Guerre mondiale, le cirque est une activité florissante et très lucrative en dépit des difficultés. Dans ce secteur aussi, la guerre marque un temps d’arrêt ; les chevaux, principale attraction du public depuis la naissance même du cirque, sont partout réquisitionnés pour les besoins de la cavalerie ou le transport de troupes.
7 « Souvenirs de Marquis Pauwels », dans (Coll.), Jours de cirque, Paris, 2002, pp. 126-131.
11La Seconde Guerre mondiale n’épargna pas non plus les familles juives du cirque en Europe. À cet égard, l’histoire des Busnac-Cohen-Sosman-Pauwels est tragiquement exemplaire. Des Busnac et des Cohen ont été déportés de Hollande vers Sobibór ou Auschwitz. Barend Busnac, un cousin d’Alexandra, périt fusillé le 26 mai 1944 pour avoir abattu à Amsterdam un commissaire de police, responsable de nombreuses déportations de Juifs. Il était musicien, premier prix de violoncelle au Conservatoire. Un oncle prit le maquis. À Rotterdam, Joseph Cohen, neveu de Jeannette, tua les deux soldats allemands qui voulaient contrôler son identité. Il parvint à s’enfuir en Belgique, puis en France, mais les représailles firent des dizaines de victimes. Les Pauwels-Cohen, eux, qui vivaient en France durant la guerre, ont eu plus de chance : le nom de Pauwels les a protégés7. Les parents de Marquis et son frère Charles ont trouvé refuge en Corrèze, dans un petit village où vivait la famille de la propriétaire du café attenant au Cirque d’Hiver. Ils vécurent de petits spectacles donnés dans les fermes. Ils fréquentaient l’église le dimanche pour sauver les apparences, bien que nul n’ignorât leurs origines juives. « Aucun Pauwels, aucun Cohen n’a été caché par la famille Bouglione durant ces années sombres », tient à préciser Marquis, à l’encontre d’une idée reçue. « Descendants de Sinti (gens du voyage), ils étaient eux-mêmes menacés par les Allemands. »
8 Le Midi Libre, 27 décembre 2005.
12L’incroyable histoire de ses trois petites cousines Cohen mérite d’être contée. En 1942, Levie Marcus Cohen (cousin de Marquis) et Henriette Nort sont déportés et assassinés à Auschwitz. Ayant pressenti le danger, ils avaient placé leur petite fille Annie, 3 ans, à la Croix Rouge, ses sœurs Judic, 11 ans, et Léa, 9 ans, à l’orphelinat Rothschild. Leurs fils Nathan et Daniel sont pris à leur tour dans une rafle et ne reviennent pas. Les deux grandes sœurs croyaient qu’Annie avait subi le même sort. Cette dernière, trop jeune, ne se souvenait plus de l’existence de ses aînées. Elles se sont pourtant revues en décembre 2005, 63 ans après, grâce à des recherches généalogiques et avec l’aide de l’internet8.
13Les Pauwels, qui plongent leurs racines tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, loin de constituer un cas unique, représentent au contraire un exemple parmi des centaines d’autres familles juives appartenant au monde du cirque. Le XIXe siècle vit naître partout en Europe de grandes dynasties célèbres et respectées par leurs pairs non juifs. Cette appartenance et cet apport significatif ne sont cependant toujours pas reconnus – ou ne le sont que trop peu – comme parties intégrantes de la vie culturelle juive, au même titre que le théâtre, le cinéma ou les arts plastiques.
9 « Le mot “banquiste” est dérivé de l’italien saltimbanco (saltare in banco, sauter sur un banc). Le (...)
10 H. Thétard, La merveilleuse histoire du cirque, Paris, 1977.
14“Lord” George Sanger, le fameux “banquiste” anglais du début du XIXe siècle, a livré ce témoignage significatif : « Ce domaine est presque entièrement aux mains des Juifs ; ils y sont deux fois plus nombreux. »9 Par domaine, il entendait les numéros de jonglerie, de magie, d’acrobaties, le dressage des animaux, toutes ces techniques qui se transmettent de génération en génération. Le grand historien du cirque Henry Thétard, dans sa Merveilleuse histoire du cirque, a effectué une recherche passionnante sur la dynastie allemande des Blumenfeld, dont il a retrouvé la trace vers 170010. Jongleurs, danseurs de corde, dresseurs d’animaux : c’est grâce à Emmanuel Blumenfeld (1811) et à ses quatre fils, écuyers et athlètes de premier ordre, que la firme se développe. Le cirque Blumenfeld est devenu très vite l’un des plus célèbres d’Allemagne, particulièrement réputé pour son écurie exceptionnelle. Mayer, le frère d’Emmanuel, s’associe de son côté avec les Goldkette, une autre famille juive allemande très puissante, et fonde son propre cirque. Ils sont apparentés aux célèbres clowns Bronett, au Danemark (d’origine juive également). Par alliance, les Blumenfeld entrent dans la famille Konyot, des Juifs hongrois (Könyöt venant de Köhn). Un de leurs descendants, Alexander Konyot, devient en 1919 directeur du Cirque national hongrois. La famille compte de nombreux écuyers, acrobates et dompteurs.
15Il faut citer les Salamonsky, en particulier Albert Salamonsky, né en 1839, le plus connu de la dynastie. Trapéziste, mime, écuyer, artiste complet, il fonde son propre cirque en 1873 et, en 1880, est nommé directeur du Cirque de Moscou, qui vient d’être créé.
11 Dans H. Thétard, op. cit. On consultera également : H. St. Nissing, Strassburger – Geschichte eines (...)
16Aux Pays-Bas, les Strassburger, une famille juive alsacienne établie à Scheveningen (La Haye), et dont les origines remontent aux environs de 1700, possèdent dans les années 20 une cavalerie et une ménagerie renommées et tournent dans les grandes villes d’Allemagne, du Danemark et de Suède notamment11. Victimes de l’aryanisation et d’une campagne de boycott sévère menée par les nazis au milieu des années 30, les Strassburger renoncent à leurs tournées en Allemagne et regagnent leurs quartiers d’hiver aux Pays-Bas. Ils échapperont totalement à l’extermination grâce à l’intervention de Frans Mikkenie, directeur de cirque, qui intègre le cirque Strassburger et sauve ainsi la famille en lui fournissant de faux papiers d’identité. En revanche, à la même époque, presque tous les Blumenfeld sont exterminés.
12 Sur le cirque, on consultera en français, outre l’incontournable ouvrage d’Henry Thétard, cité à la (...)
17Aujourd’hui, le monde du cirque continue de fasciner et d’attirer des artistes d’origine juive, sans qu’il y ait nécessairement tradition familiale. Mais les familles établies continuent à transmettre leur savoir et leur mode de vie. Il n’est que d’observer les enfants de Marquis et Nelly Pauwels : leur fille Alexandra (comme sa grand-mère) a épousé Éric Moreno, issu d’une autre famille connue du cirque, et vit à Paris. Samuel Pauwels, le bar-mitsva, doué pour les numéros de jonglerie, apprend à jouer de la trompette auprès de son père. Il n’envisage pas son avenir ailleurs qu’au cirque12.